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INSTITUTION

PRÉFACE

En réunissant ici mes rapports annuels sur les Concours de l'Académie française, pendant une assez longue durée, je réponds au conseil bienveillant de quelques amis des lettres, et je rends de nouveau justice à des noms faits pour honorer les lettres mêmes.

Les Concours académiques ont eu, de nos jours, le privilége, sinon de susciter, au moins de proclamer des historiens, des moralistes, des écrivains, dont la célébrité ne devait point être passagère. Nos Prix se sont attachés à l'immortel talent de M. Augustin Thierry, au livre profond et neuf de M. Alexis de Tocqueville sur les États-Unis d'Amérique, à d'autres ouvrages d'un incontestable mérite, dans plusieurs formes de l'histoire, de la critique savante, et même de l'imagination guidée par le goût.

La liste n'en est pas longue, sans doute. Les arts et l'industrie ont pu récemment se voir décerner, avec justice, douze mille mentions honorables, à la suite de l'Exposition de 1855. Cette profusion de gloire n'est jamais applicable dans le domaine sévère et difficile des lettres. Là, les inspirations heureuses, toujours

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rares, le deviennent davantage par le cours du temps et par le nombre même des succès antérieurs. Le passé fait obstacle et la tradition enchaîne ceux qu'elle ne soutient pas.

Les Prix d'ailleurs, que décerne l'Académie, laissent en dehors une grande part des œuvres littéraires de notre temps, et n'ont pas le droit d'atteindre bien des noms justement honorés. La succession de ces Prix et la variété des ouvrages dignes de les obtenir n'en offrent pas moins un utile témoignage sur la littérature contemporaine et l'état des esprits. On y voit de saines idées défendues avec talent, de laborieuses études suivies avec constance, la philosophie s'appuyant sur le sentiment religieux, et l'esprit littéraire sur la forte érudition. L'analyse, même sommaire, de ces différents travaux, depuis la savante Histoire de l'Esclavage antique, par M. Wallon, jusqu'aux curieuses recherches et à la candeur éloquente d'Ozanam, depuis les nobles méditations du livre sur le Devoir, jusqu'au traité de la Connaissance de Dieu, écrit pour notre siècle par un élève de Bossuet, toute cette série d'efforts instructifs et généreux atteste une salutaire activité des esprits. Tout y appartient sans doute à l'ordre spéculatif, à l'érudition et à l'art; mais, cela même est l'ambition qui convient aux lettres, et qui sert à leur puissance.

Évidemment, aux fortes études d'antiquités, de philosophie, et d'histoire fut toujours liée la maturité intellectuelle des peuples modernes ; et elle n'aurait de déclin nécessaire que par l'oubli de ce qui a fait sa force. C'était un abus de langage d'appliquer à une

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nation, dont la vie se compose de jeunesses successives, cette gradation inflexible de l'âge mûr, de la vieillesse, et de la caducité, qu'on remarque dans l'homme. Un peuple ne dépérit pas ainsi. Il faudrait, pour cela, qu'il n'eût qu'une âme et qu'elle fit défaut en lui. S'il prévient, au contraire, la décadence par le travail continu des esprits, par le sentiment élevé du devoir, par quelque grandeur dans la vie publique, il ne subit pas la loi du temps; et il peut compter indéfiniment de nouveaux âges virils.

Souhaitons donc surtout le retour et la durée de cette forte éducation littéraire, qui seconda si bien la dignité morale de la France dans le dix-septième siècle, et qui fut, dans le nôtre, le premier signe efficace du rétablissement, même incomplet, de l'ordre social, à dater de 1800. Ce serait une étrange prétention au progrès, que celle qui se complairait dans l'abandon des études classiques. Comme l'a dit récemment une grande et ingénieuse autorité scientifique : «< on n'en est pas plus savant, pour être moins lettré1; » et, il n'est besoin de rappeler ici à quel point, M. de Lagrange, M. de Laplace, M. Delambre, M. Fourier, M. Poinsot faisaient des lettres antiques et du bon goût français la première culture, et comme disait M. de Laplace, le grand noviciat de l'esprit.

L'inexpérience et le faux zèle ont pu vouloir changer tout cela; mais, le changement lui-même était un essai, qui ne saurait durer longtemps.

Les résultats déjà connus de cet essai, la stérilité

1 Discours de réception de M. Biot à l'Académie française.

d'une méthode divergente et confuse, qui étourdit l'esprit, au lieu de le former, et le rend inappliqué sur plusieurs points à la fois, au lieu de le fixer utilement sur un seul, nous est un garant d'un retour prochain à la vérité, dans une question, où le bon sens public a droit de suffrage et ne saurait être trompé longtemps. Rien de mieux que de multiplier les applications diverses de l'intelligence, et que d'offrir à tous, au moins, un premier degré de culture; rien de plus opportun que d'approprier ce degré de culture à certaines professions techniques; mais, cette précaution d'un bon système d'enseignement public n'en saurait devenir l'objet exclusif, sans décapiter l'esprit d'une nation. A part toute étude professionnelle, il y a ce qu'on appelle avec raison l'éducation générale et aussi ce qu'il faut appeler l'éducation supérieure, l'une donnant ce fonds de principes et de notions essentiel à l'homme, l'autre développant l'intelligence et le goût de ces sciences morales qui servent à la splendeur, comme au gouvernement des sociétés.

Nul doute, dès lors, qu'en laissant à nos écoles publiques le soin accessoire de préparer directement à quelques écoles spéciales de l'État, il n'importe surtout de leur maintenir, ou de leur rendre la grande condition des anciens colléges et des premiers lycées, c'est-à-dire, le caractère d'écoles préparatoires aux professions libérales, à la vie publique, aux nombreux services d'une grande société, qui a toujours occupé par l'intelligence, non moins que par la force, une place éminente en Europe et n'en veut pas déchoir.

On ne peut contester, en effet, qu'aux époques les

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