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ne plus glisser. Je poussai du pied la chaise et me trouvai pendu de toute ma longueur. Pendant que j'étais dans cette position, j'entendis distinctement une voix dire par trois fois : « C'est fini.» Quoique je sois sûr du fait, et malgré la certitude que j'en avais à ce moment, cela ne m'alarma nullement ni ne changea ma résolution. Je restai suspendu si longtemps que je perdis tout sentiment, toute conscience de l'existence.

<< Quand je revins à moi, je me crus en enfer; le son des gémissements terribles que je poussais était la seule chose que j'entendisse ; et une sensation semblable à celle que produit l'éclair de la foudre s'empara aussitôt de moi et me passa par tout le corps. En quelques secondes, je me trouvai tombé la face contre le plancher. Au bout d'une demi-minute environ, je repris l'usage de mes pieds, et, chancelant et trébuchant, j'allai rouler sur mon lit.

» Par un effet de la sainte Providence de Dieu, la jarretière, qui m'avait maintenu assez de temps pour me faire goûter l'amertume de la mort temporelle, se brisa juste au moment où la mort éternelle allait me saisir. Le sang qui s'était arrêté sous l'un de mes yeux et y formait une large tache cramoisie, ainsi qu'un cercle rouge autour de mon

cou montraient clairement que j'avais été sur le bord de l'éternité. De ces deux marques, l'une pouvait provenir de la pression de la jarretière, mais l'autre était certainement l'effet de la strangulation, car elle n'était pas accompagnée de la sensation que produit une contusion, ce qui aurait dû avoir lieu, si, dans ma chute, je m'en étais fait une à un endroit si sensible. Je serais même disposé à croire que le cercle qui entourait mon cou en venait aussi, vu que cette partie n'était ni écorchée, ni douloureuse.

>> A peine au lit, je fus étonné d'entendre dans la salle à manger le bruit que faisait la lingère en allumant du feu. Elle avait trouvé la porte ouverte, quoique j'eusse eu l'intention de la verrouiller et devait avoir passé par celle de ma chambre à coucher sans m'apercevoir pendu à cette porte même. Elle m'entendit tomber et vint aussitôt me demander si j'allais bien, ajoutant qu'elle avait craint que je n'eusse une attaque de nerfs.

» Je l'envoyai chercher un ami à qui je racontai toute l'affaire et que je dépêchai à mon parent. Aussitôt que ce dernier fut arrivé, je lui montrai la jarretière déchirée au milieu de la chambre et lui appris en même temps la tentative que j'avais faite. « Mon cher M. Cowper,

me dit-il, vous m'épouvantez; vous ne pouvez certainement pas garder la charge à ce prix-là ; où est la délégation? » Je lui donnai la clef du tiroir où elle était déposée, et comme ses affaires exigeaient ailleurs sa présence immédiate, il l'emporta avec lui : c'est ainsi que se terminèrent tous mes rapports avec l'office de secrétaire-lecteur au Parlement. »

Ce dut être une scène étrange; car les manières extérieures de Cowper n'avaient pas subi de changement, et il est probable que le major Cowper, le parent dont il est ici question, ne se doutait guère du conflit qui se déchaînait sous le maintien élégant et tranquille de son protégé. Quel contraste, a-t-on fait remarquer ingénieusement, entre cette « large bande de ruban écarlate, » ce cercle rouge qui rappelait « le bord de l'éternité » et la personne même de cet homme de bon ton, auteur discret de quelques articles de revues et vivant, semblait-il « à la surface de l'existence, loin des sombres réalités qui forment en quelque sorte, le squelette de notre vie ! »

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La folie n'était plus loin, ou pour mieux dire, elle était là, depuis l'instant où l'infortuné avait

1 National Review, 1855.

rêvé le suicide pour échapper à un examen public. Quant à ses amis qui avaient cru qu'en renonçant à cette charge funeste, il retrouverait le calme et la raison, ils furent bientôt détrompés. Cowper devait connaître des angoisses plus horribles que celles qui l'avaient poussé à chercher la mort, et ses idées ne tardèrent pas à se compliquer singulièrement. La conviction qu'il était perdu, et pour l'éternité, s'empara de son âme. Tous ses chagrins mondains lui parurent comme s'ils n'avaient jamais été, tant étaient grandes les terreurs qui leur succédèrent. Il se croyait expressément condamné tantôt par un chapitre de la Bible, tantôt par un autre. Il se disait que la malédiction du figuier stérile avait été prononcée tout spécialement contre lui. Ces pensées et d'autres semblables ne cessaient de le poursuivre. « Je ne passais jamais par les rues, raconte-t-il encore, sans penser qu'on me regardait, qu'on se moquait de moi, qu'on me méprisait; et j'avais bien de la peine à me persuader que la voix de ma conscience n'était pas assez forte pour que chacun l'entendit.

>> Ceux qui me connaissaient avaient l'air de m'éviter, ou, s'ils me parlaient, c'était avec une sorte de dédain. Une fois, j'achetai à un homme

la chanson qu'il chantait dans la rue, croyant qu'elle était composée à mon sujet. Je dînais seul, soit à la taverne, où je me rendais quand il faisait nuit, soit chez un traiteur, en prenant toujours la précaution de me cacher dans le coin le plus obscur de la salle. Je dormais ordinairement une heure dans la soirée, mais je n'y gagnais que des rêves terribles, et, au réveil il s'écoulait quelque temps avant que je pusse sans chanceler traverser le corridor qui menait à la salle à manger... Je ne pouvais supporter les yeux de l'homme; et quand je venais à songer que les yeux de Dieu étaient sur moi, ce dont je ne doutais pas, j'en éprouvais la plus intolérable angoisse. Si, pour un moment, un livre ou un ami m'arrachait à moimême, aussitôt la pensée de l'enfer me traversait l'esprit comme un éclair, et je me disais intérieurement: Qu'ai-je affaire de tout cela, moi qui suis damné. »

Ce n'était pas encore assez; il en vint, à force de creuser dans sa pensée malade, à se rappeler qu'autrefois, à Southampton, dans un voyage qu'il faisait pour sa santé au bord de la mer, la grâce de Dieu s'était offerte à lui, qu'il l'avait rejetée, et qu'il avait ainsi commis le péché contre le Saint-Esprit, le seul pour lequel l'Ecriture

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