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trouvé spirituel, il me trouvera dix fois plus spirituel encore; là où je faisais une pointe, j'en ferai cinq; et au lieu d'une remarque judicieuse, je lui en enverrai une douzaine. Et cette sotte vanité m'aurait tout à fait gâté en faisant de moi un épistolier aussi déplaisant que Pope qui semble croire qu'à moins que les phrases ne soient bien tournées et chaque période aiguisée d'un trait d'esprit, aucune lettre ne vaut son port. Aussi est-il, à mon goût, sauf dans un petit nombre de cas, le plus désagréable faiseur d'épîtres que j'aie rencontré. Voilà pourquoi j'aurais voulu attendre que l'impression causée par vos compliments sur les sots penchants de mon caractère se fût effacée, pour me livrer à mon griffonnage habituel, et pour vous écrire tout ce qui me vient à l'esprit, et rien que cela. »

Ces moments de vanité ne duraient pas; un sentiment contraire perçait bientôt : « Vous me voyez, écrit-il à une de ses cousines, plus vieux de seize ans au moins que lors de notre dernier entretien; mais il semble que les effets du temps se soient marqués plutôt sur ma tête que dedans. Ce qui était brun est devenu gris; mais ce qui était fou est resté fou jusqu'à maintenant. Les fruits verts pourrissent avant de mûrir, quand la saison ne

leur apporte que vents froids et sombres nuages interceptant tous les rayons du soleil. Mes jours se dérobent en silence et s'avancent (ainsi le roi Lear, pauvre fou, aurait voulu faire marcher ses soldats) comme si leurs souliers étaient garnis de feutre. Mais je les entends néanmoins. Et cependant, n'était que je suis toujours à les écouter fuir, comme je ne me trouve ni plus ni moins invalide que lorsque j'étais beaucoup plus jeune, je serais porté à me tromper moi-même et à me croire encore jeune. J'aime beaucoup à écrire. pour me distraire, quoique je n'y trouve pas toujours de distraction. N'ayant qu'une assez maigre provision de sujets qui soient bons à quelque chose, et d'autre part mes correspondants n'ayant aucun goût pour ceux qui ne sont bons à rien, je me vois souvent réduit à la nécessité, à la désagréable nécessité de parler de moi. Cela n'arrange pas beaucoup les choses; car si je découvre en décrivant ma propre condition quantité de matières pour employer ma plume, cependant comme la besogne ne me paraît pas très-agréable, je sens de reste qu'elle court risque de paraître bien ennuyeuse aux autres. Un peintre qui bornerait l'exercice de son art à faire son propre portrait serait un étrange fat, s'il ne se dé

goûtait pas bientôt lui-même de son travail, et un gaillard particulièrement heureux s'il n'en dégoûtait pas les autres également. >>

C'était là de la part de Cowper trop de modestie. On ne se lasse pas de l'entendre parler de lui, toujours de lui, et d'écouter ce que Coleridge a nommé si heureusement, son divin babil (divine chitchat). Aussi bien, il a mis dans ses lettres le meilleur de lui-même, et ce sont ses œuvres en prose. De plus elles se lient étroitement à sa poésie et l'éclairent d'un jour particulier.

Cette poésie éclata tout d'un coup, comme une fleur tardive qui s'épanouit en un soir. C'est à Mme Unwin que l'on doit l'heureuse idée d'avoir engagé son ami à tenter un plus grand effort, à écrire en vers sur un sujet de quelque étendue. Elle lui suggéra même comme thème de morale satirique la Marche de l'Erreur. Il se laissa séduire et se mit à l'ouvrage. M. Newton seul était dans le secret. On avait cru bon de le prévenir pour qu'il ne prît pas l'alarme, la rime ayant déjà joué à Cowper un mauvais tour. « Si la nature humaine, lui écrivait ce dernier, peut être comparée à une pièce de tapisserie (et pourquoi pas?), en ce cas la nature humaine, telle que je la trouve en moi, bien que tristement fanée à l'en

droit, garde à l'envers toutes ses couleurs. La louange me charme, et quoique je ne sois pas passionnément désireux d'éloges donnés à tort et à travers, ou de ce qu'on appelle généralement popularité, cependant quand un ami judicieux me donne une petite tape sur le dos, j'y trouve, je l'avoue, un encouragement. A cette saison de l'année, dans ce sombre et désagréable climat, ce n'est pas chose facile pour le propriétaire d'un esprit comme le mien, que de se distraire des sujets tristes, et de s'arrêter sur ceux qui le peuvent divertir. La poésie par dessus tout m'est utile à cet égard. Tant que je m'attache à la poursuite de jolies images ou à la façon de les exprimer heureusement, j'oublie tout ce qui est pénible; et, comme un jeune garçon qui fait l'école buissonnière, je me décide à profiter de l'occasion qui s'offre de m'amuser pour le moment, et je tâche de chasser l'idée déplaisante qu'il me faut après tout retourner à la maison et recevoir encore le fouet. D'ici à peu de temps vous recevrez peut-être un poème intitulé la Marche de l'Erreur, et qui sera suivi en temps convenable d'un autre poème nommé la Vérité. Ne vous effrayez pas; je monte Pégase avec une gourmette; il ne m'em

portera plus. J'ai convaincu Mme Unwin ellemême que je sais le gouverner et l'arrêter quand il me plaît. » Pégase le mena plus loin qu'il n'avait pensé d'abord. Après la Marche de l'Erreur et la Vérité vinrent les Propos de Table et la Remontrance, en tout deux mille cinq cents vers, composés en quatre mois, de décembre 1780 à mars 1781. Cowper entrait dans la carrière à un âge où d'autres la quittent, car il avait cinquante ans. M. Newton trouva un éditeur dans la personne de Joseph Johnson, un de ses vieux amis. Dès lors commença pour le poète cette période d'attente où le plaisir et l'impatience se mêlent dans des proportions inégales, et dont on a pu dire avec esprit que si l'imprimerie avait été en usage dans le pays d'Uz, Job, en souhaitant que son ennemi eût écrit un livre, aurait pu souhaiter aussi qu'il l'eût fait imprimer. « Je suis sous presse, écrivait-il à Hill au printemps de 1781; et il serait superflu de le nier.... C'est surtout pendant l'hiver que tous mes travaux ont vu le jour, sauf quelques-unes des moindres pièces. Quand je ne trouve pas d'autre occupation, je me mets à penser; et quand je pense, je suis très-porté à le faire en rimes. De là vient que la saison de l'année qui en général ferme les fleurs

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