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Cela ne tarit pas. Son bavardage est pire encore quand elle vient annoncer à Juliette la mort de son cousin et l'exil de Roméo. Ce sont les cris perçants et les hoquets d'une grosse pie asthmatique. Elle se lamente, elle brouille les noms, elle fait des phrases, elle finit par demander de l'eau-de-vie. Elle maudit Roméo, puis elle l'amène dans la chambre de Juliette. Le lendemain, on commande à Juliette d'épouser le comte Paris; Juliette se jette dans les bras de sa nourrice, implorant consolations, conseil, assistance. Celle-ci trouve le vrai remède : épousez Paris.

Roméo est un tor

Oh! c'est un aimable gentilhomme! chon de cuisine auprès de lui.... Un aigle, madame, n'a pas l'œil aussi vert, aussi vif, aussi perçant que Paris. Malédiction sur moi, - si je ne vous trouve pas heureuse de ce second mariage, car il surpasse votre premier'!

Cette immoralité naïve, ces raisonnements de girouette, cette façon de juger l'amour en poissarde, achèvent le portrait.

V

L'imagination machinale fait les personnages bêtes de Shakspeare; l'imagination rapide, hasardeuse, éblouissante, tourmentée, fait ses gens d'esprit. Il y a

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O, he 's a lovely gentleman!

Romeo's a dishclout to him; an eagle, Madam,
Hath not so green, so quick, so fair an eye,
As Paris hath. Beshrew my very heart,

I think you are happy in this second match,
For it excels your first.

plusieurs genres d'esprit. L'un, tout français, qui n'est que la raison même, ennemi du paradoxe, railleur contre la sottise, sorte de bon sens incisif, n'ayant d'autre emploi que de rendre la vérité amusante et visible, la plus perçante des armes chez un peuple intelligent et vaniteux : c'est celui de Voltaire et des salons. L'autre, qui est celui des improvisateurs et des artistes, n'est autre chose que la verve inventive, paradoxale, effrénée, exubérante, sorte de fête que l'on se donne à soi-même, fantasmagorie d'images, de pointes, d'idées bizarres, qui étourdit et qui enivre comme le mouvement et l'illumination d'un bal. Tel est l'esprit de Mercutio, des clowns, de Béatrice, de Rosalinde et de Bénédict. Ils rient, non par sentiment du ridicule, mais par envie de rire. Cherchez ailleurs les campagnes que la raison agressive entreprend contre la folie humaine. Ici la folie est dans toute sa fleur. Nos gens songent à s'amuser, rien de plus. Ils sont de bonne humeur, ils font faire des cavalcades à leur esprit à travers le possible et l'impossible. Ils jouent sur les mots, ils en tourmentent le sens, ils en tirent des conséquences absurdes et risibles, ils se les renvoient comme avec des raquettes, coup sur coup, en faisant assaut de singularité et d'invention. Ils habillent toutes leurs idées de métaphores étranges ou éclatantes. Le goût du temps était aux mascarades; leur entretien est une mascarade d'idées. Ils ne disent rien en style simple; ils ne cherchent qu'à entasser des choses subtiles, recherchées, difficiles à inventer et à comprendre; toutes leurs expressions sont raffinées, imprévues, extraor

dinaires; ils outrent leur pensée et la changent en caricature. « Ah! pauvre Roméo, dit Mercutio, il est déjà mort, poignardé par l'œil noir d'une blanche beauté! transpercé à travers l'oreille par une chanson d'amour, le cœur crevé juste au centre par la flèche du petit archer aveugle1!» Bénédict raconte une conversation qu'il vient d'avoir avec sa maîtresse: « Oh! elle m'a maltraité de façon à mettre à bout la patience d'une souche. Un chêne, avec une seule feuille verte pour tout feuillage, lui aurait répondu. Mon masque lui-même commençait à prendre vie et à quereller avec elle 21 » Ces extravagances gaies et perpétuelles indiquent l'attitude des interlocuteurs. Ils ne restent pas tranquillement assis sur leurs chaises, comme les marquis du Misanthrope; ils pirouettent, ils sautent, ils se griment, ils jouent hardiment la pantomime de leurs idées; leurs fusées d'esprit se terminent en chansons. Jeunes gens, soldats et artistes, ils tirent un feu d'artifice de phrases et gambadent tout à l'entour. « Quand je suis née, une étoile dansait. » Ce mot de Béatrice peint ce genre d'esprit poétique, scintillant, déraisonnable, charmant, plus voisin de la musique que de la littérature, sorte de rêve qu'on fait tout haut et tout éveillé, et dans lequel celui de Mercutio se trouve à sa place.

Oh! je le vois, la reine Mab vous a visité cette nuit. Elle

1. Alas, poor Romeo, he is already dead! Stabbed with a white wench's black eyes; shot through the ear with a love-song, the very pin of his heart cleft with the blind bow-boy's butt-shaft.

2. O, she misused me past the endurance of a block; an oak, but

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grosse comme qui est au doigt d'un alderman,

est l'accoucheuse des fées. Et elle vient,
l'agate de la bague
traînée par un attelage de petits atomes,
des gens quand ils sont endormis.

passant sur le nez

Les rayons de ses roues

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sont faits avec des pattes de faucheux, le dessus avec des ailes de cigales, les traits avec la toile des plus petites

araignées,

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les colliers avec les rayons humides de la lune,

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- le fouet avec un os de grillon, la lanière avec une pellicule. Son cocher est un petit moucheron en habit gris, son char est une noisette vide, fabriquée par l'écureuil, son menuisier, et par la vieille larve, morial sont les carrossiers des fées. elle galope chaque nuit

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qui de temps imméDans cet équipage, à travers les cerveaux des amants,

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sur les genoux des courtisans, et ils sur les doigts des gens de

rêvent aussitôt de révérences;

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loi, qui rêvent aussitôt à des honoraires; dames, qui rêvent aussitôt à des baisers.... Parfois elle galope sur le nez d'un courtisan, et il rêve qu'il flaire une grâce à obtenir. - Parfois elle vient avec la queue d'un cochon de dime, et en chatouille le nez d'un curé endormi; là-dessus il rêve d'un autre bénéfice. Parfois elle passe sur le cou d'un soldat, alors il songe qu'il coupe la gorge à des ennemis; il rêve de brèches, embuscades, lames espagnoles, de rasades et brocs pleins, profonds de cinq brasses; puis, tout à coup - elle tambourine à son oreille. Il sursaute, il s'éveille, et sur cette alerte il jure une prière ou deux, - puis se rendort.... C'est cette Mab

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qui tresse la nuit les et colle dans les vilaines chevelures. entremêlées ces boucles qui, une fois dénouées, présagent de grandes infortunes. C'est elle qui 1....

-

with one green leaf on it, would have answered her; my very visor began to assume life, and scold with her.

1.

O, then, I see, Queen Mab hath been with you.
She is the fairies' midwife; and she comes

In shape no bigger than the agate-stone

On the forefinger of an alderman,

Drawn with a team of little atomies
Athwart men's noses as they lie asleep :

>>

Roméo l'interrompt, sans quoi il ne finirait pas. Que le lecteur compare aux conversations de notre théâtre ce petit poëme, « enfant d'une imagination vaine, aussi légère que l'air, plus inconstante que le vent, jeté sans disparate au milieu d'un entretien du seizième siècle, et il comprendra la différence de l'esprit qui s'occupe à faire des raisonnements ou à noter des ridicules, et de l'imagination qui se divertit à imaginer.

Falstaff a les passions des bêtes et l'imagination des gens d'esprit. Il n'est point de caractère qui montre

Her waggon-spokes made of long spinners' legs;
The cover, of the wings of grasshoppers;
The traces, of the smallest spider's web;
The collars, of the moonshine's watery beams;
Her whip, of cricket's bones; the lash, of film;
Her waggoner, a small grey-coated gnat;
Her chariot is an empty hazel-nut,
Made by the joiner squirrel, or old grub,
Time out of mind the fairies' coach-makers.
And in this state she gallops night by night

Through lovers' brains, and then they dream of love;
On courtiers' knees, that dream on court'sies straight:
O'er lawyers' fingers, who straight dream on fees,
O'er ladies' lips, who straight on kisses dream....
Sometimes she gallops o'er a courtier's nose,
And then dreams he of smelling out a suit;
And sometimes comes she with a tithe-pig's tail,
Tickling a parson's nose as he lies asleep,
Then dreams he of another benefice :
Sometimes she driveth on a soldier's neck,
And then dreams he of cutting foreign throats,
Of breaches, ambuscades, Spanish blades,
Of healths five-fathom deep; and then anon
Drums in his ear; at which he starts, and wakes;
And, being thus frighted, swears a prayer or two,
And sleeps again. This is that very Mab,
That plats the manes of horses in the night;
And bakes the elf locks in foul sluttish hairs,
Which, once untangled, much misfortune bodes.
This, this is she....

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