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et que n'a surpassée nul travail récent d'une autre main. L'Académie maintient également à M. Bazin le Prix obtenu par son Tableau du règne de Louis XIII; et malgré l'étonnement que peut exciter cette coïncidence de deux exceptions, elle y voit une double justice.

En dehors de ses prix ordinaires, l'Académie avait à juger cette année des recherches d'érudition et de goût sur notre langue. C'était l'essai d'un nouveau concours. Dans une étude détaillée du style de Molière, elle avait voulu constater le travail commun du génie d'un homme et de l'esprit d'un siècle, et cela dans la forme d'ouvrage qui, par la peinture des passions éternelles du cœur et des accidents de la vie sociale, par le jeu des conditions et des caractères, permet au langage le plus d'énergie, de naturel et de variété. Pour cette épreuve, elle prenait la meilleure époque, celle où l'idiome français, souple et ductile comme le métal fondu, gardait profondément l'empreinte de la pensée. Les langues sont un domaine commun, où le génie se fait une propriété particulière. De même que par une invention de nos jours, les objets extérieurs, les masses, les détails même se gravent spontanément sur une surface préparée, que la lumière frappe de leur image, ainsi, dans l'idiome d'un peuple se reproduisent d'euxmêmes, au grand jour de la vie, ses usages et ses mœurs. Mais à côté de ce dédoublement d'un siècle dans sa langue, et de cette imitation des choses par les paroles, le génie et la passion, qui est le génie du moment, ajoutent la création à la copie. Le fonds général d'une langue, c'est la peinture par reflet, par l'action seule de l'objet et de la lumière; le style, c'est l'œuvre inspirée du peintre.

Sans doute, il n'est pas besoin d'un vocabulaire, pour discerner ces deux origines. On les juge mieux cependant par cette étude. En la demandant, l'Académie, sur onze ou vrages, a obtenu deux travaux remarquables : l'un, inscrit

sous le no 3, distribue et explique dans un vaste recueil toute la diction de Molière; l'autre, le n° 10, en réunit les traits les plus expressifs dans un choix qui n'oublie rien.

Des considérations instructives précèdent les deux ouvrages, entre lesquels l'Académie a partagé le Prix qui vient d'être doublé. Leur mérite comparé a été apprécié dans un rapport que nous ne pouvons lire à cette séance, ni abréger, sans l'affaiblir. Les auteurs, que leurs noms désignent assez, sont MM. Genin et Guessard. Une première mention est encore accordée au no 11, et une seconde au no 8.

En décernant le Prix d'utilité morale, fondé par M. de Montyon, l'Académie a souvent compris dans ses jugements des ouvrages de formes très-diverses, où le talent. ne touchait au but proposé que d'une manière indirecte et spéculative.

Aujourd'hui, comme la société devient sans cesse plus pratique dans ses vues d'amélioration, l'Académie l'a été dans ses choix; et elle a désigné d'abord les écrits mêmes qui se liaient à quelque œuvre de bienfaisance publique. Les soins de la charité si active, depuis quinze ans, avaient laissé longtemps un grand vide dans la protection accordée aux enfants du peuple. Les écoles élémentaires si rapidement multipliées étaient loin de suffire. Les salles d'asile ont été créées, comme un passage entre le foyer du pauvre et l'école. A peine formées, les salles d'asile ont averti la société d'un autre besoin à satisfaire, d'une autre précaution charitable à prendre.

Ce n'était pas seulement l'enfance déjà capable d'instruction qu'il fallait recueillir: c'était aussi la plus faible enfance, celle que la mère nourrit encore, mais que, dans beaucoup de familles pauvres, elle ne pouvait garder assidûment, ni confier à d'autres mains assez soigneuses, même en donnant, pour les rétribuer, la meilleure part du

salaire gagné par son travail. De là est venue dans le cœur d'un généreux citoyen la pensée des Crèches. Le succès rapide de cette pensée en a montré la sagesse et l'utilité. Le compte rendu de l'œuvre par le fondateur, l'exposé des moyens employés, des secours obtenus, du bien commencé, l'intention et le résultat, voilà le livre en action qu'a dû considérer l'Académie. Règlements d'hygiène, sollicitude morale, précautions prises pour aider la mère, sans l'éloigner, pour suppléer sa force et non sa tendresse et, en la ramenant aux heures, où elle nourrit son enfant surveillé par d'autres soins, lui conserver son lien et sa vertu maternelle, telle est l'institution honorée dans la médaille décernée à M. Marbeau.

Simple récit d'une bonne action qui s'étend et se perfectionne, pendant qu'on la raconte, son écrit renferme déjà, sur la puissance des saines habitudes, dans l'âge le plus tendre, et sur l'éveil précoce et régulier de l'intelligence, d'utiles observations qui vont s'accroître avec l'œuvre nouvelle. Cet avantage est commun aux salles d'asile et aux écoles primaires; et la pensée saisit avec espérance les heureux effets que ces Institutions, s'aidant et se suivant l'une l'autre, peuvent avoir pour la santé du corps, pour la santé de l'âme, et pour un progrès de bienêtre et de bonne morale, dans les classes populaires. Ainsi se réalise ce que renfermaient de praticable les théories et les vœux de quelques esprits spéculatifs. Il ne s'agit pas d'une communauté chimérique, ou oppressive, à établir entre les hommes, mais d'un appui salutaire à donner aux commencements de la vie, pour en rendre la suite plus facile et meilleure. Ici, comme partout, l'œuvre d'humanité est œuvre de politique. Elle préparera pour la famille, pour l'État, une population plus nombreuse, plus saine et plus forte, pliée de bonne heure à des habitudes d'attention et d'ordre, qui sont des germes de discipline sociale.

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Cette vue et toutes les applications qu'elle entraine font le grand mérite des Conseils sur la direction des salles d'asile, par mademoiselle Marie Carpantier, directrice d'un asile. L'expérience ressemble ici à une utopie réalisée. On voit, pour une réunion de jeunes enfants de la condition la plus pauvre, tous les soins de la culture morale la plus attentive mêlés à la surveillance physique. Précisément, parce que l'étude, à cet âge, est encore peu de chose, l'éducation a pris une grande place et s'applique à tous les actes de la vie naissante. L'auteur, en qui nous devons louer d'autant plus le talent d'écrire avec émotion et justesse qu'il faut y reconnaître le témoignage et le reflet de la pratique même exposée dans son livre, l'auteur vous étonne par l'à-propos et la variété des leçons qu'elle fait naître de l'organisation si régulière et des accidents si simples d'une salle d'asile.

Origine des sentiments affectueux, élévation du cœur vers Dieu, premiers instincts de dignite morale, et, pour ainsi dire, premier point d'honneur de l'âme excité dès l'enfance, habitude et goût de l'obéissance sortis du développement même de l'être moral, et destinés, non pas à détruire la volonté, mais à la rendre judicieuse et ferme, répression plus assortie aux caractères qu'aux actes, pour améliorer toujours, au lieu de punir, voilà ce que le dévouement au devoir et la sagacité du cœur découvrent et mettent en œuvre dans le cercle étroit d'un asile. La sage directrice le voudrait peu nombreux, pour être mieux régi. Mais alors, que les établissements soient très-multipliés et que les essais en soient partout reproduits, s'ils doivent ressembler au modèle qu'elle en a tracé!

Quelle sera sur le bien-être des classes pauvres l'influence de ce système d'asile et d'instruction propagé dès l'enfance? Dans quelle proportion ce qui doit améliorer

l'homme préviendra-t-il la misère? On l'entrevoit, on l'éprouve déjà. Les maux de l'indigence existent aujourd'hui moins nombreux, moins extrêmes qu'à d'autres époques de splendeur sociale; mais ils sont grands encore, et tels que la pensée ne saurait se fixer sur cet état de la société sans émotion, et sans désir d'y porter soulagement. Un livre qui va chercher ce désir dans les cœurs et l'excite par l'énergie des peintures et des reproches, est une œuvre utile. Telle est la pensée, telle est l'action de l'écrit intitulé: Il y a des pauvres à Paris et ailleurs. Je n'examinerai pas si dans la gravité ironique de ce titre et dans l'accent général de l'ouvrage il n'y a pas quelque oubli de tout ce que la charité publique et privée fait de sacrifices et d'efforts, dans notre temps. Le zèle et le but de l'auteur justifient ce langage; son âme compatissante et sévère ne réclame pas seulement des secours matériels, mais de la charité morale, c'est-à-dire l'aumône, consolante pour celui qui reçoit, et salutaire à celui qui donne, l'aumône persistante qui soulage, qui conseille, qui dirige, qui ne fait pas de ses dons un abonnement avec le malheur, mais une dette toujours acquittée, toujours renais

sante.

Ainsi conçue, la bienfaisance est une sorte d'apostolat, et la voix généreuse qui la recommande a toute l'ardeur de la mission chrétienne. Elle a pu cependant se tromper quelquefois. On a besoin de dire à l'honneur de la civilisation, que dans cette grande ville le sort de l'ouvrier n'est pas aussi malheureux que l'affirme l'auteur. Il y a le bienfait général de l'époque présente, celui qui résulte de l'ordre, de la paix, du travail multiplié, qu'elle encourage; il y a l'esprit d'équité qui fait que la prospérité croissante des grandes industries rejaillit sur la classe laborieuse qu'elles emploient. Cette vérité même admise, la tâche de la charité n'en est pas

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