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exerce une profession très-utile à l'Etat; mais il seroit encore plus nuisible aux intérêts généraux de la société, qu'une assemblée de législateurs fût dominée par un esprit mercantile que si elle l'étoit par un esprit militaire, quoiqu'il n'y ait pas de mal qu'il s'y trouve quelques individus de ces deux professions. Un esprit militaire, avec tous ses inconvéniens, contribue au moins à la gloire et à la grandeur d'un Etat; mais un véritable esprit commerçant (dont pourtant plusieurs commerçans sont exempts), toujours occupé de spéculations intéressées, juge de l'utilité de toute mesure politique par le profit pécuniaire qui peut en résulter.'

Les Anglais, qui doivent tout au commerce, ont si bien senti les dangers de laisser entrer au parlement des gens qui n'auroient d'autres intérêts que ceux du commerce, qu'ils ont exigé, par une loi passée sous la reine Anne, que, pour représenter une ville quelconque, il falloit posséder une terre rapportant 300 liv. sterling (7,500 fr.) de rente.2

Le nombre des commerçans, dans la chambre des communes, n'est pas considérable, et ils sont autant propriétaires que commerçans la plupart sont de riches banquiers ou négocians de Londres, qui possèdent des terres dans les provinces, et se font nommer députés de quelque petite ville, dans laquelle leurs propriétés leur donnent de l'influence.3

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Voyez ce que dit Adam Smith sur l'esprit intéressé des négocians et manufacturiers, et sur les mauvais effets pour la nation en général des lois commerciales qu'ils sont parvenus souvent à faire adopter au parlement anglais.

Par la même loi, on exigea un revenu de six cents livres sterling en terre (15,000 fr.) pour être député d'un comté. Il n'y a pas un député de comté qui n'ait au moins dix fois, et la plupart ont vingt et même trente fois ce revenu. La plupart des députés des villes ont de même plus de dix fois le revenu exigé par la loi.

3 A croire certains auteurs français, le parlement anglais n'est composé que de commerçans, et la plupart même des pairs sont sortis du commerce. Le fait est qu'avant le ministère de M. Pitt, qui donna la pairie d'Irlande à deux ou trois banquiers grands propriétaires terriens (M. Smith, un d'eux, a été créé depuis baron de la Grande-Bretagne), il n'y a presque pas d'exemple qu'on ait créé pair un homme exerçant le commerce, quelque riche qu'il fût. Devenu grand propriétaire, et entrant dans sa carrière politique, un commerçant, s'il rend de grands services nationaux, peut prétendre aux honneurs comme tout le monde. Tous les nouveaux pairs sont des gens illustrés par leurs services civils ou militaires, ou bien de grands propriétaires de familles anciennes. Quant aux chevaliers ou députés des comtés, une des premières qualités requises par l'opinion pour représenter son comté, est celle d'être d'une famille qui y soit anciennement établie. On a plus d'une fois traité d'hommes nouveaux des fils de pairs, qui prétendoient à être députés d'un comté où leurs familles n'étoient pas anciennes. Un banquier anglais, trèsconnu à Paris, d'une famille honorable, et possédant trente mille livres sterling de rentes (750, 000 fr.) en fonds de terres, avoit envie, il y a quelques années, de se présenter comme candidat pour représenter le comté où il a

Quand le parlement s'occupe d'une mesure affectant le commerce, il consulte les négocians et manufacturiers qui y sont les plus intéressés, ou qui passent pour avoir le plus de connoissancespratiques là-dessus; mais il se garde bien de suivre aveuglément leurs avis.

Conclusion.

Il seroit aussi ennuyeux qu'inutile de vouloir relever davantage les erreurs de fait et les faux raisonnernens des écrivains politiques qui cherchent à faire cadrer la Constitution anglaise avec leurs théories. Cette Constitution, la meilleure, à tout prendre, qui ait jamais existé, n'est qu'un ensemble d'usages perfectionnés par le temps. Ces usages ont été harmonisés de temps en temps par des lois positives; mais les Anglais se gardent bien d'en abroger aucun dont ils puissent tirer l'avantage le plus léger. La Constitution anglaise n'est pas écrite sur du papier; elle est gravée dans le cœur de tous les Anglais. Ce n'est pas une charte faite par des philosophes, qui ne peuvent jamais prévoir l'effet de leurs combinaisons, c'est une langue politique inventée par la raison instinctive heureusement dirigée, et ensuite polie et perfectionnée par de sages grammairiens. Comme des mots et des locutions d'une langue vivante cessent peu à peu d'être employés, en continuant toujours de faire partie des dictionnaires, de même plusieurs des usages politiques des Anglais ont subi des modifications graduelles, et quelques uns sont tombés totalement en désuétude, sans que

acheté ses grandes possessions; mais ses amis lui firent entendre que, malgré sa grande fortune et la considération personnelle dont il jouissoit, il ne pourroit pas réussir dans ses prétentions, et il y renonça, se contentant d'être député d'un petit bourg. En Angleterre, quand on parle d'un homme que l'opinion porte aux premières places de sa province (aucune place n'est payée), on n'emploie pas le terme riche propriétaire, imaginé en France depuis la révolution pour confondre les anciens et les nouveaux possesseurs de terres, on dit un homme de naissance et de grande fortune, a man of family and fortune."

Dans les détails que je viens de donner de la composition de la chambre des communes, j'ai eu en vue principalement les élections en Angleterre. Celles d'Ecosse sont beaucoup plus aristocratiques. Les députés des comtés y sont nommés comme originairement en Angleterre, par les seuls tenanciers de la couronne, et dans les villes, les seuls électeurs sont les membres du conseil municipal. De plus, excepté une ou deux des villes principales, quatre ou cinq villes se réunissent pour nommer un seul député. Chaque ville de la réunion, par son conseil municipal, nomme un délégué, et les délégués nomment ensuite le député. En Irlande, les élections se font à peu près comme en Angleterre; l'aristocratie territoriale y est aussi forte; mais l'absence de plusieurs grands propriétaires qui préfèrent le séjour de l'Angleterre, a un fâcheux effet sur les mœurs du bas peuple.

ces changemens aient été marqués dans leurs livres de droit public. Autant vouloir apprendre une langue vivante, par la seule étude de son vocabulaire, que de prétendre connoître la Constitution politique des Anglais en lisant ce qu'on peut appeler leurs dictionnaires politiques. La grammaire de leur langue politique, si je peux m'exprimer ainsi, est restée la même depuis quelques siècles; mais les mots et les tours de cette langue ont varié continuellement dans leurs acceptions.

La Constitution de l'Angleterre paroît extérieurement la même depuis plus de quatre siècles, et cependant elle n'a pas cessé, pendant cette longue période, d'éprouver des modifications. La révolution même de 1688, qu'on a prétendu l'avoir fixée pour toujours, n'étoit, quant aux nouveaux principes établis alors, qu'un changement de plus amené par les circonstances; et quoi qu'en disent les partisans outrés de cette révolution, la Constitution, dans bien des points importans, n'est pas réellement la même aujourd'hui qu'à cette époque. Il semble qu'elle a atteint, depuis quelque temps, le plus haut degré de perfection dont elle est susceptible, et que comme toutes les choses humaines arrivées à leur point de splendeur, elle ne pourra plus que dégénérer. Il est impossible de prévoir ni sa durée dans son état actuel, ni les changemens nouveaux que le temps lui fera éprouver. Quant à sa forme extérieure, elle peut durer long-temps après que l'esprit vital qui l'anime aura cessé d'exister; et les Anglais des siècles à venir se vanteront peut-être de la stabilité de leur Constitution, quand elle ne ressemblera que de nom à celle que nous admirons aujourd'hui.'

Les imitateurs de cette Constitution ne feront jamais rien de bon s'ils se contentent d'en copier les traits extérieurs. Pour obtenir

'Si, par exemple, la composition de la chambre des communes venoit à être changée, soit par l'abolition du droit de primogéniture (droit qui n'est pas regardé par les auteurs politiques comme tenant en rien à la constitution), soit par une réforme parlementaire qui changeroit les rapports actuels entre les électeurs et les élus; ou bien, si la chambre des pairs perdoit de sa considération, soit par la pauvreté de ses membres, soit par la nomination abusive d'un grand nombre de pairs, indignes de la pairie, qui changeroit l'esprit de cette chambre; ou bien, si, par un changement dans les réglemens militaires, les officiers de l'armée, au lieu d'être comme à présent des propriétaires de toutes les classes de l'aristocratie, et fortement intéressés au maintien de l'ordre politique établi, étoient pour la plupart des soldats parvenus ou des gens san's existence civile; ou bien, si la morale publique, base première de toutes les institutions humaines, venoit à être corrompue, soit par l'abus de la liberté de la presse, soit par l'excès des richesses commerciales: toutes ces causes et cent autres, qu'on ne pourroit peut-être pas indiquer d'avance, changeroient entièrement l'esprit de la constitution anglaise, et détruiroient la sage liberté qui en résulte, sans peut-être en anéantir les formes extérieurs.

une véritable ressemblance, il faut qu'ils parviennent à vivifier leurs froides copies du même esprit qui anime l'original.

Il peut y avoir, il est vrai, d'autres combinaisons que celles qui existent en Angleterre, pour concilier une représentation nationale avec une monarchie héréditaire, et le pouvoir du monarque avec la liberté politique des sujets; mais l'expérience des siècles ne nous les a pas encore fait connoître, et les amis des lumières nouvelles, en morale et en politique, ne peuvent trop savoir gré aux peuples qui veulent bien se prêter à des expériences dont les résultats serviront à l'instruction des races futures.

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